Bien sûr, je n’aurais jamais pu faire ni même avoir l’idée de cet article si je n’avais pas un jour, fait un stage de formation au CFRPE avec Olivier Maupin, (voir un article précedent).
C’est un stage magnifique et il y en a bien d’autres sur les mêmes sujets et sur la restauration en général. La mosaïque d’images ci-dessous est un petit exemplaire des reliures médiévales analysées et réalisées par Olivier.

Parmi la bibliographie évoquée lors du stage, le livre de J.A. Szirmai “The archaeology of medieval bookbinding” (1999). Heureusement, un restaurateur et passioné de reliures anciennes Thierry Adt, de Verrue dans la Vienne en a fait la traduction intégrale. Je le remercie ici chaleureusement de m’y avoir donné accès et l’autorisation de la partager avec des relieurs amateurs interessés. Voici le lien

De quoi parle-t'on ?

Les lecteurs de cet article ont probablement eu l’occasion d’entendre parler de reliures coptes, byzantines, romanes et peut-être même d’avoir réalisé des coutures coptes ou des tranchefiles à oreille….
Dans tous les cas, on est dans le thème “Reliures médiévales” qui couvrent une période du 3ème au 15ème siècle. Les évolutions sont souvent liées à des innovations techniques afin de palier aux effets d’usure des livres, jusqu’à l’apparition de l’imprimerie en 1454, provoquant une multiplication énorme du nombre de livres, poussant ainsi les relieurs à simplifier les processus de fabrication.

J’essaye de faire ici un résumé plus ou moins précis de ce que j’ai pu retenir de cette traduction, sachant que les caractéristiques décrites de chacun des items sont celles que l’on retrouve statistiquement le plus. Elles varient selon les différents pays ou différents monastères où les reliures ont été réalisées. Il faut lire le livre en totalité pour avoir une vision exacte et précise.

Deux mondes : l’Orient et l’Occident
L’architecture des reliures va évoluer différement dans chacun d’entre eux avec quelques influences plus ou moins pérennes au travers des migrations, des échanges commerciaux et de l’expansion du chistianisme.

Même si les reliures commencant très tôt (4° et 3° siècle av.JC), l’analyse commence au II° siècle, à l’apparation du codex. Auparavant, les manuscrits étaient en rouleau. Elle va jusqu’à la fin du Moyen-Age (fin du 15ème siècle) mais la transition avec les reliures plus contemporaines se fera jusqu’au 17° siècle.

Structures orientales

Quelques points communs

  • Le parchemin reste le support essentiel des manuscrits jusqu’au 14° siècle, date de l’utilisation du papier encollé pour éviter l’encre de diffuser.
  • Sauf exception, les ais sont en général en bois
  • Les coutures sont sans ficelles ni lanières jusqu’au 15° siècle, à l’exception de la structure arménienne. 

EGYPTE – Cahier unique
Taille en général de 250 hauteur x 150 largeur (mm)
Le cahier unique peut regrouper jusqu’à plus de 150 pages. Attaché par l’intérieur sur le dos de la couvrure avec des lacets.

Ais en bois avec doublure intérieure de papyrus de récupération,

Couvrure en cuir pleine peau, chèvre en général, avec remplis et contregardes collées.

EGYPTE – Cahiers multiples
Regroupement de 15 à 25 cahiers

Au début, les dos sont nus et la couture en chevrons sans ficelles ni lanières est donc très fragile.
Tranchefiles probables ?
Pas de rognage
Les ais en bois brut non recouverts sont fixés avec des lanières en parchemin (claies) collées à l’intérieur

On rajoute plus tard des bandes de tissu pour protéger le dos.

Pas de contregardes, ce sont les premières pages du livre qui sont collées sur les ais

COPTE
Le christianisme d’étend. L’architecture copte s’appuie sur l’expérience égyptienne. Elle sera influencée par l’Islam à partir du 7ème siècle, ce qui mènera aussi à sa disparition au 11° siècle.

Les plats sont souvent en parchemin, et parfois plusieurs sont collés ensemble pour donner de l’épaisseur. Ils sont cousus directement sur les cahiers.
Dos souvent en tissu (1/2 peau) collé
Rognage et tranchefiles de protection en points de chainette.
Couvrure chèvre
La décoration apparait avec estampage du cuir et fermoirs

ETHIOPIEN
Les coptes chrétiens se déplacent vers le Sud à partir du 4° siècle : l’Ethiopie

On retrouve la même structure que la structure copte.
Les ais sont cousus au bloc en passant par des trous dans la tranche.
Les points de chainette des tranchefiles font place à des lanières tressées.

Couvrure plein cuir ou 1/2 peau

Parfois un tissu collé en contre-plat

ISLAMIQUE
Les livres se déplacent avec les voyageurs. Les influences se mélangent. La structure islamique apparait, basée sur l’éthiopienne à partir du 7°/ 9° siècle.
Elle prendra progressivement la place des reliures coptes lors de l’expansion du monde arabe.

Tranchefile islamique
Couvrure cuir
Estampage à froid
Fermoirs

BYZANTIN
Pour mémoire, l’empire byzantin existe du 4° siècle (chute de l’empire romain d’Orient) jusqu’au 15° siècle, n’ayant pas survécu aux croisades et à la montée de l’empire ottoman.

A cause de la taille de l’empire, la structure byzantine n’est pas liée directement à Byzance. Son appelation couvre seulement la période byzantine.

Sur la base de la structure copte, 4° siècle.

  • Ais en bois, cousus à l’éthiopienne (passage dans les tranches), en 2 demi-livres
  • Tranchefiles sur les chants
  • Tissu 1/2 peau sur le dos
  • Couvrure cuir
  • Décorations : estampage, métal, joyaux, charnières en goutière, fermoirs… 

ARMENIEN
C’est une variante du byzantin surtout pour le rattachement des ais sur le bloc.

Cette variante apparait au 8° siècle probablement sous l’influence des premières reliures occidentales avec couture sur ficelle

ALLA GRECA
C’est la période de la Renaissance italienne. Cette structure reprend toutes les innovations techniques des précedentes à partir du 15° siècle, sur la base du byzantin. Ces innovations font suite à la multiplication des éditions due à l’invention de l’imprimerie.

Les relieurs cherchent des processus de fabrication rapides :

  • grecquage, et couture sur nerfs encastrés
  • Renforcement avec claies collées (muraille…) en parchemin ou en cuir chamoisé
  • Dos arrondi et apparition des mors
  • Rognage au fût à rogner à partir de 1550
  • Chasses
  • Tranchefiles simples, puis broderies secondaires (François 1er, Henri 2 , Henri 4), et pour gagner du temps on fait des points de passe sautés
  • Décorations :
    • Estampage
    • Cuir ciselé, décors floraux par des maroquiniers compagnons itinérants
    • Apparition des dorures
    • Tranches peintes, voire dorées pour des livres de luxe
    • Bossages, pièces de coins et fermoirs

Structures occidentales

D’après le livre de référence, on ne trouve pas de spécificités occidentales avant le 8° siècle. J’ose comprendre ainsi que les structures utilisées dans les différents monastères occidentaux étaient des reliures coptes ou byzantines, comme on peut le voir sur l’exemplaire de Reichenau, daté du 9° siècle.

La première grande innovation consiste à coudre sur ficelles. Il faut noter que les ficelles seront remplacées par des lanières cuir au 12ème siècle mais reviennent progressivement à partir du 15° siècle.

La couture sur ficelles sera reprise par les arméniens dés le 8° siècle en exception des autres structures orientales. 

CAROLINGIENNE
Période du 8° au 12° siècle

Couture
La couture en chevrons est renforcée par des ficelles
Points simples en tête et queue ou points de chainette

Ais en bois rattachés au bloc après couture,
Passures avec trous dans les tranches à l’éthiopienne ou à l’arménienne

Rognage des tranches à partir du 11° siècle.

Pages de garde collées, plusieurs montages possibles

Tranchefiles avec oreilles
Les tranchefiles sont souvent coptes avec points de chainette avec ou sans support (batonnet, ficelle, lanière)
Surcouture sur le dos de la couvrure
Broderies en couleur sur oreilles pour les livres de luxe

Couvrure
Le cuir étant destiné en priorité au parchemin, on couvre en peau chamoisée ou en animal sauvage, parfois avec du tissu précieux ou de la soie
Sans décors

Décoration limitée aux fermoirs

Montage des pages de garde
Tranchefile avec oreille

ROMANE
Période du 11°/12° au 15° siècle

La grande innovation : le cousoir. On peut coudre les cahiers sans les plats

Couture sur lanières fendues
Points de chainette

Les ais en bois de 9 à 12 mm avec passures de différentes formes et blocage des lanières avec chevilles en bois.
Petites chasses

Chevron 65%-------Boucles 25%------ Brodées 10%
Différentes formes de trous de passure
Les feuilles de garde sont collées sous les remplis 

Pour rendre les tranchefiles moins saillantes, on fait sauter les coins des ais et du bloc
Tranchefiles comme la carolingienne, droites ou en chevron avec fils de couleur possibles

Couvrure cuir
Estampage à froid
Titrage manuscrit au dos

Dos en peau chamoisée, soit collé soit chevillé sur les tranches

Forme [a] en standard
Fermoirs en lanières avec crochets

GOTHIQUE
Période du 14°/15° au 17° siècle

L’invention de l’imprimerie en 1454 révolutionne le tirage des livres. Le papier encollé remplace les feuilles de parchemin, qui sont reservées aux pages de garde. On retrouve parfois un onglet en parchemin dans la feuille centrale des cahiers.

Avec la multiplication du nombre de relieurs, les styles vont varier entre l’Angleterre, l’Allemagne, la France, l’Italie et aussi entre les monastères

Couture sur lanières torsadées ou fendues, remplacées progressivement par des ficelles au 15° et 16° siècle

La couture en chevron sera remplacée par une couture droite au 15° siècle – standard en figure [a] , et parfois couture sur 2 cahiers à partir de 1550 – figure [g]

Ais en bois avec éventuellement des chanfreins selon la décoration métal qui sera effectuée

La couvrure plein cuir (mouillé, étiré, collé) remplace le cuir chamoisé, y compris sur le dos pour garantir l’arrondissure
Nerfs saillants fouettés
Parage des remplis à partir du 16° siècle

Au-delà de la structure décrite, plusieurs variantes en aumonières ou en chemises collées, cousues ou clouées

CAS PARTICULIER DES RELIURES SOUPLES EN PARCHEMIN

Toute la période du Carolingien jusqu’au 16° siècle. Les parchemins ont été collés sur carton à partir de 1550 environ.

Les pages sont en général rognées

Fixation du bloc sans nerfs : nouage primaire sur support extérieur après couture

Fixation du bloc avec nerfs : par laçage avec traversée du parchemin au niveau du mors

Et voilà !
Probablement quelques erreurs d’interprétation ou de précision.
Merci Thierry pour la traduction et sa mise à disposition
Vous, lecteurs, n’avez plus qu’à vous inscrire aux stages d’Olivier Maupin au CFRPE pour mettre en pratique.

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