Ce n'est pas une histoire, ce sont plusieurs histoires

Comme l’a dit Marc Bloch, il faut “Connaitre le passé pour comprendre le présent”. Beaucoup de textes pour nous expliquer l’origine de l’Ukraine, y compris le discours de Vladimir Poutine du 21 février 2022. Je propose un résumé complet factuel en évitant les travers de propagande quelle qu’elle soit.

L’Ukraine occupe une place particulière pour les dirigeants russes. L’Ukraine n’est pas la Russie et elle n’est pas en Russie.
Son histoire ne se confond pas avec celle de la Russie mais se construit sur ses relations avec ses voisins y compris la Russie. Elle n’est que celle de ses provinces qui la constituent aujourd’hui et leurs histoires propres.

  • les Ukrainiens voient avant tout les spécificités ukrainiennes de leur culture et de leur identité nationale,
  • tandis que les Russes privilégient la théorie du « berceau slave commun » et mettent en avant la réunification des deux pays en 1654.

On ne parle d’Ukraine seulement à partir du 19ème siècle.
Avant cette date, l’histoire des provinces comporte plusieurs grandes périodes selon leurs rattachements

  • avant 864, la Khazarie
  • 864 – 1141, la Rus’ de Kiev
  • 1199 – 1352, le royaume de Galacie-Volhynie
  • 1352 – 1796, successivement le Grand-Duché de Lituanie, le Royaume de Pologne et la République des Deux-Nations
  • 1796 – 1921, l’Empire Russe
  • 1921 – 1991, l’Union Soviétique
  • 1991 – l’Ukraine d’aujourd’hui

Tel que décrit, l’historique de ces provinces déborde des frontières actuelles mais reste centré sur les éventuels points communs qui font d’elles une nation souveraine depuis 1992.

A- Khazarie

Les khazars étaient un peuple originaire d’Asie centrale, peuple de Crimée. Au début, ils croyaient au chamanisme, parlaient le turc et étaient nomades. Plus tard ils adoptèrent le judaïsme, l’islam et le christianisme, apprirent l’hébreu et le slave et s’installèrent dans des villes au nord du Caucase et de l’Ukraine.

L’histoire ancienne des khazars en Russie méridionale, avant le milieu du 6ème siècle, est inconnue. A partir de 550 à 630, ils firent partie de l’empire de Turquie occidentale. Quand cet empire fut éclaté en raison de guerres civiles au milieu du 7ème siècle, ils réussirent à asseoir leur indépendance. Ils fondèrent la ville de Kiev en 482.

B- La Rus’ de Kiev

Selon la légende de mythologie slave, les 3 frères Lech, Čech et Rus, habitaient entre la Vistule et le Dniepr mais après des années difficiles de récolte, ils décidèrent de partir chacun de leur côté. Ils seraient à l’origine de la Pologne, de la Bohème et de la Ruthénie.

Dans la réalité, on a plusieurs hypothèses, encore controversées mais toutes font mention du viking Riourik au 9ème siècle, venu probablement de Scandinavie – selon les hypothèses, danois, prussien du Niémen, ou finlandais, ‘Varègue’ est le nom donné par les slaves aux vikings de Suède. Ce premier prince s’installe à Novgorod et transforme la société tribale en société féodale, et reste un symbole. Les Varègues s’étendent vers le sud et Kiev prise aux khazars en 864 – 882 selon les sources – , devient capitale de la Rus’ de Kiev. Les autres princes de la Rus’, y compris Novgorod, Vladimir, Souzdal et Moscou lui payent un tribut.

A cette époque, les Varègues païens, se convertirent au christianisme de Constantinople. Les princes se succèdent parfois avec violence mais la principauté se développe en taille, en commerce, en relations internationales avec l’empire byzantin entre autres, soit diplomatiquement par des mariages princiers, y compris en France, soit par la guerre et les pillages.

Plusieurs éléments mènent au déclin :

  • Les successions se passent mal et le territoire se morcèle progressivement jusqu’à 64 principautés, dont celles de Novgorod, Vladimir-Souzdal, Kiev, Smolensk…
  • Les croisades perturbent le commerce avec l’empire byzantin.
  • Les invasions mongoles/tatares ; au cours desquelles les villes sont détruites, toutes sauf Novgorod, et les populations slaves parfois vendues comme esclaves à l’empire ottoman.

En 1169, la Rus’ de Kiev trop affaiblie disparait. Chacune des principautés la composant est soumise individuellement à l’empire de la Horde d’Or jusqu’en 1480.

Lors du morcèlement de la Rus’ de Kiev qui disparait en 1169, les principautés de Kiev (1363), Pereïaslav (1302), Tourov (1320), Smolensk (1404), Polock (1307) et Riazan (1399) se soumettront progressivement au Grand-Duché de Lituanie.

Trois autres sont à l’origine de l’Ukraine pour la 1ère et de la Russie pour les 2 autres :

  1. Galicie-Volhynie, dont les frontières changeront au même rythme que celles de la Lituanie au nord, la Pologne et l’Autriche à l’ouest, l’empire ottoman au sud et la Russie à l’est et qui aboutiront aux frontières ukrainiennes du 19ème siècle.
  2. Novgorod, qui après une poussée vers la Scandinavie, sera absorbée dans l’expansion du futur empire russe.
  3. Vladimir-Souzdal, qui sera le berceau du nouvel Empire Russe,

C- Galicie et Volhynie

La principauté a une zone d’influence du nord des Carpates jusqu’aux bouches du Danube. Ayant déjà pris ses distances face à la Rus’ de Kiev en 1141 et 1154, les 2 provinces encore séparées rentrent en guerre de succession, sous influences des Hongrois, des Polonais et de branches Riourikides pour finalement se regrouper en 1199. 

La démographie et l’économie se développent.

Le territoire reste instable, convoité d’abord par la Pologne et la Hongrie, puis la Lituanie avant de signer un accord de partage en 1352 entre Royaume de Pologne et Grand-Duché de Lituanie, hormis les duchés moldaves qui vont former la principauté de Moldavie de 1359 à 1859.

Profitant de la faiblesse des anciennes principautés de la Rus’ de Kiev, pillées par les mongols et heureuses de changer de domination, la Lituanie se développe de la Mer Noire à la Mer Baltique à son apogée, au fur et à mesure de la soumission des anciennes principautés : Kiev (1363), Pereïaslav (1302), Tourov (1320). Celles-ci avec la Galicie-Volhynie formeront à terme l’Ukraine occidentale.

Pendant que la Horde d’Or laisse la Lituanie s’étendre vers le Sud sur un territoire qui constituera une grande partie de l’Ukraine, elle attaque régulièrement les quelques principautés du Nord, brulant les villes, en particulier la Principauté de Vladimir-Souzdal. Une petite aparté pour décrire la résistance de cette principauté, dont les faits aboutiront à la naissance de la Russie. 

Création de l’Empire Russe

A la fin de la Rus’ de Kiev, l’empire mongol de la Horde d’Or est souverain sur toutes les anciennes principautés. La « renaissance » d’un empire se fera par la croissance de la toute petite ville de Moscou, sur plusieurs siècles entre 1169 et 1801.

République de Novgorod
La république s’étend vers le Nord, et trouve ses limites avec la Suède et la Norvège en 1326.
Suite à plusieurs conflits avec Tver et la principauté de Moscou (Moscovie), la république s’allie avec le Grand-Duché de Lituanie, ce qui ne plaît pas à toute la population. Troubles…. La république continue de fiabiliser son territoire au Nord jusqu’à l’Oural mais perd la bataille de la Chelon en 1471 et se soumettra à Ivan III, grand-prince de la Principauté de Moscou en 1478

Principauté de Vladimir-Souzdal

Lors de la fin de la Rus’ de Kiev en 1169, Vladimir, centre de la Principauté de Vladimir-Souzdal, devient le siège du pouvoir des Grands Princes de Russie à la place de Kiev incendiée.
Moscou est fondée en 1156, par la construction d’un fortin en bois sur l’emplacement actuel du Kremlin, au sein de cette principauté, à 100 kilomètres environ à l’ouest de Vladimir

En 1238, les hordes mongoles dévastent les grandes villes de Vladimir-Souzdal et de la Rus’. Seules Moscou, Tver et Nijni-Novgorod survécurent. La principauté se désintégra rapidement en onze petits États. Le grand-duché de Moscou éclipsa peu à peu ses rivaux et lorsque le siège de l’église orthodoxe russe fut déplacé de Kiev à Vladimir par le métropolite en 1299, puis à Moscou en 1325, Vladimir perdit définitivement son pouvoir au profit de Moscou.

En 1380, Dmitri 1er prince de Moscou profite de l’affaiblissement global de l’empire mongol pour gagner la bataille de Koulikovo. La Horde d’Or se reconstitue et brule Moscou en 1382 avec l’aide de Tamerlan, émir de l’empire perse. Mais quand la Horde d’Or se retourne contre Tamerlan pour la prise de l’Azerbaïdjan, Tamerlan bat les mongols en 1395 et met fin à leur hégémonie en Russie.

L’expansion de la Moscovie qui suivit fut accompagnée d’une consolidation interne, mais aussi de l’annexion de Novgorod (1478), de Tver (1485), de Riazan et de terres au sud suite à une guerre contre la Lituanie

Ivan III, Vassili III, Ivan IV le Terrible vont accroitre l’étendue du territoire vers Kazan (1552), Astrakhan (1556), Smolensk (1667).
Puis Pierre Ier le Grand dernier tsar prend le titre « d’Empereur de toutes les Russies » et continue son expansion face à la Suède avec la fondation de Saint-Pétersbourg (1703) et les pays baltes (1721). Enfin Catherine II avec le khanat de Crimée (1783) et les provinces constituantes de la future Ukraine lors des traités de partage de la République des Deux-Nations (1795) et plus tard le Caucase.

Simultanément, l’expansion vers la Sibérie et l’Alaska par les cosaques se déroulera jusqu’en 1740.

Pour reprendre le cours du récit, l’histoire des futures provinces ukrainiennes encore situées en Lituanie en 1430 évolue en parallèle avec celle de la toute jeune Moscovie qui devient tsarat en 1547 par décision du tsar Ivan IV.

D- République des Deux-Nations

En 1569, lors de l’Union de Lublin, le royaume de Pologne et le Grand-Duché de Lituanie se réunissent sous la République des Deux-Nations.

Les régions issues du partage de la principauté de Galicie-Volhynie deviennent toutes polonaises.

La noblesse russe adopte le polonais et le catholicisme.
Le polonais était la langue commune de la noblesse et des personnes cultivées. Mais les échanges quotidiens se faisaient dans les nombreuses langues : lituanien, ruthénien (biélorusse et ukrainien), letton, prussien (jusqu’en 1600), bas allemand, yiddish, tatar et arménien.

La République doit défendre ses propres intérêts à plusieurs reprises

  • contre les cosaques du sud de Zaporojie aidés des Tatars de Crimée, en 1648 lors du soulèvement de Khmelnitski. Les insurgés demandent l’appui du tsar de Russie en 1654. C’est le début de l’ingérence russe dans les affaires polonaises. Lors du traité de Pereïaslav en 1654 confirmé en 1686, la République perd entre autres la rive gauche du Dniepr, Kiev, Zaporojie et Smolensk au profit de la Russie.
  • contre la Suède lors de l’invasion suédoise de 1655 connue comme « le Déluge ». La Prusse, la Russie, le Danemark, l’Autriche sont impliqués.
  • contre une coalition progressive de toutes les puissances de l’Europe Centrale, y compris la Russie de Pierre le Grand de 1700 à 1721, dont certaines rivales entre elles. La Russie devient officiellement protecteur de la Pologne.
  • contre la peste
  • lors de la succession de Pologne en 1733, avec des candidats soutenus par des nations rivales, conflits dont la Russie profite pour lancer plusieurs campagnes contre la Turquie jusqu’en 1792, date à laquelle le khanat de Crimée sera annexé à la Russie
  • contre l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche, reine de Hongrie en 1772. Elle revendique sa part sur l’ancien royaume de Galicie-Volhynie : l’ancienne Galicie rejoint la Hongrie, l’ancienne Volhynie reste dans la République
  • lors du 1er partage en 1772. La Russie ne souhaite plus assumer le protectorat de la Pologne et propose un partage avec la Prusse et l’Autriche.
  • lors de la mise en place de la nouvelle Constitution en 1791 qui provoque la guerre avec la Russie de Catherine II en 1792 sur plusieurs fronts et aboutit aux 2ème et 3ème traités de partage en 1796.

La république des Deux Nations, privée de tous ses territoires, cesse d’exister.

E- Empire Russe

L’expansion de l’empire Russe (jaune clair sur la carte en 1600 après l’annexion des khanats de Kazan et Astrakhan) continue vers le sud

  • En 1773 par le 1er partage de la République des Deux-Nations (en blanc sur la carte), qui confirme les frontières de 1686 après le traité de Pereïaslav obtenues après le soulèvement des cosaques contre la Pologne
  • en 1774 par l’annexion du khanat de Crimée (rose sur la carte)
  • en 1793 par le 2eme partage (gris clair sur la carte)
  • en 1795 par le 3eme partage ( en gris foncé sur la carte).
  • En 1812, annexion de la Bessarabie (en jaune sur la carte)
  • En 1856, le Boudjak (turquoise sur la carte) est intégré à la Bessarabie suite à la Guerre de Crimée

Ce seront les frontières de l’Empire Russe à sa chute en 1917.

F- Union Soviétique

La fin de la première Guerre Mondiale disloque l’empire austro-hongrois. Selon les reconnaissances des uns et les refus des autres, il faudra attendre 1940 pour stabiliser les frontières.

  • La Galicie est annexée par l’URSS en 1939,
  • la Bucovine du Nord (en jaune sur la carte) rejoint l’URSS en 1940,
  • La Transcarpatie (en vert sur la carte) après un passage en Tchécoslovaquie rejoint l’URSS en 1940,
  • la Bessarabie et le canton de Khotin après des passages en Roumanie en 1918, s’intègrent à l’Union Soviétique en 1944,
  • Le Boudjak, repris par la Roumanie en 1941 rejoint la Bessarabie donc l’URSS en 1944,

Ce sont les frontières de la République Socialiste d’Ukraine en 1991, à la chute de l’URSS.

Le sentiment d’appartenance à un peuple ukrainien se développe autour d’une population paysanne et Lénine organise la RSS de l’Ukraine : l’ukrainisation pour forger une élite soviétique locale et développer la culture locale.

G- République d’Ukraine

Quelques mouvements nationalistes se sont déjà mobilisés dès le 19ème siècle à travers la culture, la langue, la poésie…la revendication à l’autonomie dès 1917. L’indépendance se confirme dès 1991. La République Socialiste Soviétique d’Ukraine devient la République d’Ukraine, un des pays fondateurs de la CEI.

La République Socialiste Soviétique Moldave ayant aussi déclaré son indépendance en 1991 sous la forme de République de Moldavie, ses frontières vont évoluer et se limiter à la Bessarabie, avec une enclave séparatiste autoproclamée : la Transnistrie. Le canton de Khotin au sein de la Bucovine du Nord et le Boudjak rejoignent l’Ukraine.

Les frontières de l’Ukraine sont celles d’aujourd’hui.

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